Hébergement, transports, réunions : le monde des déplacements professionnels attire des acteurs d’un genre nouveau, souvent issus du domaine grand public et de l’économie collaborative. Reste à définir leurs conditions d’intégration à une gestion raisonnée des voyages d’affaires.
Ils sont devenus incontournables. Lors de chaque salon professionnel, une à plusieurs conférences leur sont immanquablement consacrées. Pourtant, leur légitimité sur le marché du voyage d’affaires fait toujours débat, même si leur clientèle business ne cesse d’augmenter. “Ils”, ce sont ces “nouveaux entrants”, les Airbnb, Uber et consorts, qui se sont fait une place dans le monde des déplacements professionnels en à peine quelques années. “Aujourd’hui, les voyageurs d’affaires réservent régulièrement leur hébergement en utilisant des plateformes issues de l’économie collaborative. D’après notre étude, ils sont 17 % [en Europe]” , estime David Chapple, directeur du Business Travel Show.
La “sharing economy” a d’ailleurs été désignée par les participants du salon londonien comme le principal élément ayant influencé le voyage d’affaires en 2015. Après avoir un temps sous-estimé l’impact de ces nouvelles alternatives, le marché se rend à l’évidence : les voyageurs business ont une vraie attirance pour ces offres d’un genre nouveau.
AirBnb
Captain Train
Bird Office
MONTÉE EN PUISSANCE
Le phénomène prendrait même de l’ampleur, comme en témoigne le rapport Certify SpendSmart consacré aux notes de frais sur le marché américain. Entre le premier et le second trimestre 2015, les demandes de remboursements sur des réservations Airbnb ont ainsi augmenté de 143 %. De son côté, Uber aurait dépassé les taxis dans le cadre des voyages d’affaires aux États-Unis. Cette montée en puissance est également visible du côté de l’offre. Des challengers à Airbnb et Uber se sont lancés avec succès, notamment des solutions made in France comme SnapCar et Marcel dans le domaine des VTC – les voitures de transport avec chauffeur – ou MagicStay et Morning Croissant dans celui de l’hébergement. Pour exister à côté d’un géant comme Airbnb, les nouveaux acteurs de l’hébergement soignent leur positionnement, qu’il soit exclusivement affaires comme MagicStay, haut de gamme à l’image de onefinestay ou encore design à l’instar de Sweet Inn. L’hébergement et les transports urbains ne sont d’ailleurs pas les seuls secteurs marqués par cette tendance. Le monde des meetings a lui aussi ses start-up innovantes. Bird Office, lancée en décembre 2013 par trois jeunes entrepreneurs français, s’est fait un nom autour d’une idée simple : proposer aux entreprises qui n’utilisent pas pleinement leurs espaces de réunions de les louer ponctuellement à d’autres sociétés en quête de changement et d’espaces originaux. D’autres acteurs contribuent également au dynamisme du marché comme Captain Train, dans le secteur de la réservation ferroviaire, ou BusinessTable, dans celui des déjeuners d’affaires.
GOOGLE APRÈS AIRBNB ET UBER
À une tout autre échelle, Google pourrait également figurer parmi ces nouveaux entrants sur le marché du voyage d’affaires. Les investissements consentis au cours des dernières années par le géant américain commencent à porter leurs fruits autour de deux axes : la distribution et la data. Le virage controversé de la distribution en direct amorcé en 2015 par Lufthansa s’est notamment appuyé sur la fonction “Book on Google” qui permet aux utilisateurs américains de réserver des vols via Google Flights. En outre, le comparateur de vol de Google affine régulièrement son contenu. Type d’appareil, espace moyen pour les jambes, accès ou non à une prise de courant ou un réseau WiFi, voire un retard moyen : l’éventail des informations disponibles ne cesse de s’élargir, permettant au voyageur de choisir un vol en toute connaissance de cause.
Si chaque acteur a sa propre approche pour séduire le voyageur, le discours reste généralement le même. Comme souvent, les économies potentielles constituent l’argument numéro un. Interrogé à l’occasion de la conférence annuelle de la GBTA Europe, Marc McCabe, responsable de la partie business et voyages d’affaires chez Airbnb, évoquait “un coût d’hébergement de 20 % à 50 % par rapport au tarif moyen d’une nuitée hôtelière.” Ciblant en premier lieu les participants aux salons professionnels, la plateforme française 100 % affaires MagicStay entend leur offrir une alternative économique face à des parcs hôteliers souvent saturés en période de grands événements. Le caractère authentique des logements et leur fonctionnalité, notamment pour héberger plusieurs membres d’une même équipe, sont d’autres atouts mis en avant par ces concurrents de l’hôtellerie classique.
OUTILS SEXY PLUTÔT QU’OLD SCHOOL
Ayant fait leurs premiers pas dans l’univers du loisir, ces start-up high-tech ont, aussi et surtout, développé une maîtrise pointue de l’ergonomie de leurs sites internet, érigeant l’expérience utilisateur en art de vivre moderne. Le contraste entre des plateformes grand public “sexy” et des outils corporate souvent jugés trop ternes serait en train de s’atténuer sous la pression des nouvelles générations d’outils et d’utilisateurs. C’est ce que résumaient avec humour les fondateurs de Captain Train à l’heure de lancer la version business de la plateforme ferroviaire : “Il y avait auparavant deux mondes. D’un côté, le monde normal, où vous pouviez profiter de toute la technologie et du meilleur design dans votre vie quotidienne. De l’autre, le monde professionnel, où vous deviez utiliser un ordinateur portable de 7,5 kilos, un écran à tube cathodique, un téléphone en plastique à peine capable de recevoir des SMS, et subir en silence les bugs de votre logiciel d’emails tout droit sorti des années 80, pendant que votre directeur de l’Innovation se baladait dans les couloirs avec son iPad. Ce monde de l’entreprise, où tout se devait d’être ringard et inadapté, a changé dernièrement”.
Pour de nombreux observateurs, la percée des Airbnb et compagnie dans le monde du voyage d’affaires reste cependant problématique. Plusieurs freins subsistent dans le monde de l’entreprise, des blocages aussi bien psychologiques que tout à fait rationnels. Cette concurrence d’un genre nouveau peut notamment fragiliser à terme le programme hôtelier de l’entreprise, le “cannibaliser” comme le notait Carlson Wagonlit Travel dans son rapport “Faster, smarter, better”. Dans cette étude internationale publiée en 2015, l’agence de voyages d’affaires a d’ailleurs listé les peurs des voyageurs et des travel managers vis-à-vis de l’économie collaborative. La sécurité, la qualité du service et les changements de dernière minute apparaissent comme les trois principales craintes des professionnels en déplacement. Les responsables voyages seraient, pour leur part, surtout sensibles à la sécurité des données, à la sûreté du voyageur et au reporting.
Conscients de ces limites, les fournisseurs concernés adaptent leurs offres pour faire tomber ces barrières, avec pour commencer des avis d’utilisateurs majoritairement fables, dans la mesure où ils impliquent d’avoir réservé, payé et donc consommé le service en question. Un must pour séparer le bon grain de l’ivraie, alors que la crédibilité de certains comparateurs a été mise à mal par la découverte de faux commentaires.
Mais c’est aussi en affinant la portée business de leurs outils que les nouveaux entrants comptent séduire les travel managers. Depuis la rentrée 2014, Uber for business centralise le paiement et améliore le suivi des dépenses au sein de l’entreprise. De son côté, l’offensive d’Airbnb sur le segment professionnel aura demandé plus de temps. Le programme Voyages d’Affaires, lancé à l’été 2014, a commencé par cibler les logements adaptés en matière de disponibilité, d’accès au Wi-Fi ou encore de localisation. Il a désormais gagné en consistance et en pertinence avec les outils Activity Tab et Reporting Tab qui permettent aux travel managers de suivre les voyageurs d’affaires et de gérer les données des réservations des salariés habilités à réserver sur Airbnb, puis d’exporter des rapports et des données financières pour piloter la politique voyages. MagicStay a adopté une démarche sensiblement équivalente avec son Magic Travel Manager Tool, présenté en fin d’année 2015.
EN VOIE D’INTÉGRATION
Néanmoins, l’intégration des nouveaux entrants passe par des relations plus étroites avec les poids lourds du voyage d’afaires. À l’occasion de la présentation du self booking tool Amadeus Cytric Travel & Expense, Georges Rudas, Pdg d’Amadeus France, expliquait que “des leaders mondiaux de la sharing economy nous sollicitent pour être présents dans nos systèmes, car ils visent le secteur du B2B”. De son côté, le spécialiste des déplacements professionnels Concur a multiplié au cours des derniers mois les partenariats avec les différents acteurs concernés : Uber et Airbnb bien sûr, mais aussi BusinessTable ou Captain Train qui, par ailleurs, a lancé récemment son nouveau portail Captain Train for Business.
Fidèle à sa logique de l’open booking, Concur a constitué un réseau qui permet à l’entreprise de récupérer les données de réservation et donc de reprendre le contrôle sur les déplacements professionnels. “Avec Airbnb et Uber, nous permettons aux utilisateurs qui aiment recourir à la consommation collaborative pour leurs loisirs d’en faire autant dans le voyage d’affaires”, se félicitait Tim MacDonald, vice-président exécutif de Concur, en officialisant le partenariat avec les deux plateformes américaines. Et d’ajouter qu’“en capturant ces données, nous offrons aux entreprises une transparence en temps réel sur les dépenses et les itinéraires de leurs voyageurs”.
Reste à savoir comment les agences de voyages d’affaires vont se positionner. Toutes ou presque confessent un intérêt certain pour ces plateformes, mais leur essor accéléré les confrontent une nouvelle fois au défi de la réactivité. À l’inverse, les fournisseurs de l’économie collaborative devront eux aussi faire l’effort de s’intégrer avec les TMC, soulignait Advito dans son livre blanc intitulé “Economie collaborative : a-t-elle une place dans votre programme voyages ?”
En attendant une intégration complète des nouveaux entrants à l’univers du voyage d’affaires, c’est donc au responsable voyage de naviguer à vue vers des contrées inexplorées. Sans donner de blanc-seing à ces offres ou aux voyageurs qui militent pour leur intégration ; sans ignorer, non plus, un phénomène déjà répandu. “C’est le bon moment pour les travel manager d’étudier les mérites des fournisseurs issus de la sharing economy”, préconisait Advito dans son livre blanc. S’adressant aux responsables voyages, la division consulting de BCD Travel ajoute : “L’économie collaborative change le voyage d’affaires, que cela vous plaise ou non. Certains de vos voyageurs veulent utiliser ces fournisseurs, et souvent, ils y recourent déjà.”
Une fois encore, le travel manager se voit soumis à la pression des voyageurs et de leurs habitudes high-tech. Ce qui les confronte à d’autres défis comme identifier la plus-value de ces plateformes alternatives, évaluer les risques encourus en fonction des types de déplacements et des catégories de voyageurs ou encore trouver le bon équilibre avec les acteurs traditionnels. Quoiqu’il en soit, face à l’attrait d’Airbnb et Uber auprès des nouvelles générations de voyageurs, il semble difficile de ne pas leur accorder une place dans les politiques voyages. Ne serait-ce qu’expérimentale.
Source : www.voyages-d-affaires.com, par Florian Guillemin -19 avril 2016
https://www.voyages-d-affaires.com/ces-nouveaux-entrants-qui-font-bouger-lignes-20160419.html